Et tout cela pour une Blonde...
"Docteur, souffrir
ainsi n'est plus possible !", gémit la veuve Guibert.
Le médecin brandit alors une sorte de
catalogue et se mit à feuilleter frénétiquement
les pages de ce grimoire cubique qu'il traînait
dans sa sacoche verdâtre depuis des lustres.
Dehors, les renoncules
puisaient déjà au sol une eau plus fraîche et se réchauffaient des
dernières chaleurs d'un soleil étouffé par les premières givrées de l'automne.
Sa jeunesse, cet érudit passionné
d'art et fasciné par la capitale et ses mille attraits était allé
l'enterrer dans un cabinet de petit généraliste de campagne. Lui pourtant
si vif d'esprit, sémillant, élégant
autrefois... Le minuscule portrait
photographique à droite de l'article
vantant l'arrivée de ce fringant praticien, autrefois accompagné d'une
belle et jeune épouse qui le quitta l'année suivante, marmot sous le coude,
jaunissait sur le mur à mesure que blanchissaient ses tempes dégarnies
et fauchées par les ans.
Son regard projeté au travers des lucarnes encrassées l'invitait
bien souvent à s'évader de ces moments sans vie. Ces rêveries le
renvoyaient au bon vieux temps chez les scouts où, en
sémaphore, on n'est jamais tout à fait seul.
Sans nul autre ici que lui, sans âme alentour que cette vieillarde
geignant trois fois par semaine dans son cabinet et dont il ne savait
plus par quelle potion lui soigner son hypochondrie, il subissait
le temps qui mettait en péril son avenir comme un souffle
galopant sur la flamme d'une bougie,
vacillante, prête à s'éteindre. Sentiment de défaite sur sa vie
exacerbé par ces doigts courant
en vain sur les pages, à la recherche de l'élixir de jouvence qu'il aurait
tant aimé pouvoir se prescrire à lui-même aujourd'hui s'il en avait
seulement détenu la formule.
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