Mahous. 3.
La vie d'un chat de bistrot n'a rien à envier à celle de ses congénères que l'on dit de gouttière, et dont l'ego se pare des vertus fallacieuses d'une existence aventureuse. Et s'il m'est parfois venu à l'esprit des idées d'émancipation, cela s'est toujours soldé par une simple vadrouille de quelques heures dans les rues avoisinantes, un break qu'il serait bien hasardeux de qualifier de fugue.
N'allez pas croire que ces propos soient sans lien avec ce qui nous occupe. Ce à quoi j'ai assisté ce jour-là, et que je suis le seul à avoir vu, n'est pas sans rapport, bien que se situant dans un tout autre registre, avec l'envie que peut un jour éprouver un matou d'en finir avec la routine, de changer de condition, de s'évader vers d'autres rivages.
Fernande tuait le temps en tricotant. Autrefois, cette activité m'aurait intéressé au plus haut point. Qu'y a-t-il en effet de plus exaltant pour un jeune chat que de jouer avec une pelote de laine, d'en dévider et emmêler le fil, et de se faire ensuite gentiment gourmander par sa maîtresse ! Mais je ne suis plus un chaton et il ne servirait à rien de le regretter. Les beloteux avaient éclusé leurs verres, et Lulu était allé les remplir à nouveau. « Et voilà mes beaux messieurs ! » Inanité de l'activité humaine...
L'Armand, dans son coin, continuait de reluquer la donzelle. Il semblait excité comme une puce. Il s'agitait sur sa chaise, la regardait boire son thé tout en faisant celui qui est très occupé, qui ne peut remettre à plus tard, que les fulgurances de l'inspiration ont frappé de façon soudaine et miraculeuse. Il commanda un autre café à Lulu. Il avait sorti de sa poche cet incontournable objet constitutif de la condition humaine d'aujourd'hui et que j'appelle un « téou », version nomade du « allo » résidant. Il le manipulait dans tous les sens et en tirait, semble-t-il, une certaine satisfaction.
Moi, je sentais que l'instant approchait de quelque chose qui allait nous surprendre tous. C'était imminent. Le compte à rebours arrivait à son terme. Trois, deux, un... Comme le Chat du Cheshire, mais en plus radical, le corps qui perd de son opacité, se dématérialise, s'efface, et pour finir disparaît totalement. J'en restai comme deux ronds de flan !

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.