Armand. 4.
C'est au même instant que Lulu s'étonna : « Bah ! Où qu'elle est passée la p'tite dame ? ».
Ma première pensée fut qu'elle était partie alors que j'étais plongé dans les subtilités de fonctionnement de mon mobile, cet appareil dont les touches, menus et fonctions relèguent à l'arrière-plan conceptuel l'usage téléphonique pour lequel il est initialement prévu. Mais cette hypothèse ne tenait pas. Il lui aurait été impossible de quitter l'établissement sans que l'aigrelet tintement du carillon qui en ponctue les va et les vient ne se fasse entendre. Elle serait du reste passée devant la caisse de Fernande qui n'aurait pas manqué de s'en apercevoir. D'autant que je crus comprendre que la consommation n'avait pas été réglée !
Fernande émit l'idée qu'elle s'était peut-être rendue aux toilettes. Je lui fis remarquer qu'une telle initiative n'aurait pu m'échapper, puisqu'elle l'aurait obligée à transiter par devant ma table. Lulu alla néanmoins vérifier l'inoccupation des lieux.
Suivit un beau chahut au terme duquel la patronne s'est décidée à appeler la police. Celle-ci est arrivée moins de vingt minutes plus tard, en la personne de deux gardiens en uniforme, homme et femme, que je connaissais de vue. Entre-temps, Lulu avait inspecté sans succès les maigres recoins de son estaminet, y compris le dessous de la banquette, adoptant pour ce faire une posture qui déclencha la franche hilarité des joueurs de cartes.
« Tiens ! V'là la flicaille ! » L'arrivée des policiers, ainsi saluée par Riri, l'indéfectible assistant de la quadrette beloteuse, ne ramena pas la sérénité. Accusés d'être des farceurs et d'avoir manigancé une blague de potache, incapables par ailleurs de décrire la jeune femme, nous eûmes le plus grand mal à être pris au sérieux. Je me rappelai alors la photo et tendis l'appareil aux deux fonctionnaires de police qui jetèrent un coup d'œil à l'écran. « Oui, eh bien ! » Je repris l'appareil, regardai à mon tour. Rien, il n'y avait plus rien, l'écran était vide ! Enfin... pas exactement. Le décor était bien là, table, banquette, glace murale, et, sur la table, la théière, la tasse, un cendrier. Mais l'image de l'inconnue s'était effacée avec elle.
Quel sujet pour un auteur ! J'imagine déjà la suite...
fin

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.