Fernande. 4.
On r'garde tous Lulu qu'a les yeux ronds et l'mégot qui pendouille, et puis la table où c'qu'elle était y a même pas encore cinq minutes. Plus personne. La théière et la tasse oui, mais elle, elle est plus là. Bah ! elle doit pas être loin, dit Riri qu'entend plus très bien mais qu'a enfin compris de quoi i'r'tourne. Riri, c'est çui qui joue pas, i'regarde. Oui, elle a dû aller au p'tit coin, que j'dis comme ça. Mais monsieur Armand qu'a l'air tout chose lui aussi il met son grain d'sel. Mais non, madame Fernande, si elle était allée au p'tit coin comme vous le dites si joliment, elle serait passée près de moi et cette présence aurait alerté ma vieille carcasse. I' cause bien monsieur Armand ! C'qu'il veut dire c'est qu'là chaleur d'une poulette qui le frôle ça lui aurait échauffé l'sang. Lulu est quand même allé voir. Bernique ! Elle pouvait pas non plus êt' ressortie, j'l'aurais bien vue. Et puis y'a l'carillon d'la porte. Bref elle était nulle part. Ça fout la trouille un truc comme ça. J'ai fini par appeler le disset'. J'avais la voix qui tremblait. Ils ont pas tout compris mais un quart d'heure après ils étaient là, deux qui connaissent la boutique. En attendant on a continué à la chercher. Lulu s'est même mis à quat'pattes pour r'garder sous la banquette. Quand on a dégoisé ça aux flics, fallait voir leur tête ! Comme si on s'foutait d'eux. Mais, madame Fernande, vous nous racontez des craques là. On ne disparaît pas comme ça. Et puis d'abord, à quoi elle ressemblait cette jeune dame ? Alors là ça nous a fait tout drôle pa'c' qu'on savait pas quoi raconter. Elle avait un manteau, ça c'est sûr, mais à part ça... Moi j'aurais même pas pu dire si elle était blonde ou brune. Plutôt mignonne c'est sûr, mais ça c'est pas une description. Même monsieur Armand ç'a l'a laissé coi. Et c'est alors, Attendez, qu'il fait, je l'ai prise en photo. Et le v'là qui donne son téléphone aux flicaillons. Eux, i' r'gardent. Oui eh bien ? Monsieur Armand i' r'prend l'appareil et i' r'garde aussi. J'l'avais jamais vu comme ça ! Ses yeux c'était des billes de loto ! Ça alors ! qu'il fait. On a eu droit à un interrogatoire en règle. Tous les recoins ont été fouillés. Après, i's ont appelé leurs copains, des en civil. L'a tout fallu r'commencer depuis l'début. Quelle histoire c'a été ! Maintenant ça commence à s'tasser. Plus d'trois semaines ! Ça fait un bout qu'on avait pas r'vu de journaliste. Voilà ! j'vous ai tout dit. Non, jamais. On a jamais su. C'est quoi vot'journal déjà ?
fin

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.