Fernande. 1.
Pour une drôle d'histoire c'est une drôle d'histoire. Lulu, - Lulu c'est mon mari -, Lulu donc, lui i' disait qu'ça s'rait pas bon pour l'commerce. Oui pa'c' qu'i' faut vous dire, le bartabac où c'est qu'ça s'est passé, ben les patrons c'est nous, Lulu et Fernande. Fernande c'est bibi. L'avait donc peur, mon homme, qu'ça fasse fuir la clientèle. Tu parles, un truc pareil ! Déjà qu'pour y arriver c'est pas facile, avec tous les frais, les impôts, les taxes... Si qu'vous seriez commerçant vous aussi, vous voiriez de quoi j'cause. Et nous en plus, les buralistes comme i' disent, c'est pas trop la joie en c'moment, vu qu'les fumeurs deviennent des bêtes noires, gibier à pourchasser, des qui nuisent à la santé d'autrui, et qu'le trou d'la sécu c'est eux, à cause du cancer et de l'infrac... enfin vous savez c'que j'veux dire ! Heureusement qu'on a les trucs à gratter. Ça, ça marche bien. Ça marche même de mieux en mieux, et qu'y en a toujours des nouveaux, et qu'les gens i's'plaignent qu'i' sont fauchés mais qu'ça les empêche pas d'gratter comm' des malades. Et pourtant c'est pas souvent qu'ça gagne,... ou alors pas gros,... ou c'est très rare,... pas chez nous en tout cas. Moi aussi j'gratte un peu d'temps en temps, mais c'est juste pour m'occuper, pour passer l'ennui... Donc le Lulu il était inquiet. Ne dormait plus, ça l'avait tout r'tourné. C'est pas bon pour nous qu'i' disait. Eh ben vous savez quoi ? Ç'a été tout l'contraire. Not' bartabac, l'est devenu un endroit qu'on l'visite. Et pas rien qu'les voisins, les gens du coin. Non ! On a même eu un couple de touristes l'autre jour, des angliches. Tout ce p'tit monde vient voir là où ç'a eu lieu. Comme i' dit monsieur Armand, Vous voyez, Fernande... Mais si, monsieur Armand, vous savez bien, çui-là qu'écrit. Enfin à c'qu'il paraît, moi j'ai jamais rien lu d'lui, d'ailleurs j'lis pas beaucoup, j'ai pas trop l'temps. Qu'est là tous les après-midi assis à la mêm' p'tit' table du fond là-bas dans l'coin. Un homme charmant, bien comme i' faut,... et pis qu'a d'l'instruction... Ah oui ! c'est vrai, zêtes pas du quartier. Vous voyez Fernande, qu'il dit monsieur Armand, c'est le début de la célébrité. Ouais, que j'lui réponds, mais va bien falloir un jour qu'ça s'dégonfle. Et toc ! Pa'c' que moi j'ai pas ma langue dans ma poche ! Bon, faut quand même que j'vous raconte. Pour l'instant vous d'vez pas y comprendre grand chose.

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.