Fernande. 2.
Et trente centimes qui nous font dix euros. Allez ! enr'var Madame Bénard ! Bon ! où j'en étais... Ah oui ! Donc ça s'est passé un après-midi, un jeudi. On v'nait d'nous livrer la bière, c'est pour ça qu'je sais qu'c'est un jeudi. Y' a d'ça trois s'maines. Trois heures et quart, trois heures et demie. Y'avait pas grand monde dans la salle. Les beloteurs,... Monsieur Armand... Et pis Lulu et moi bien sûr. Lulu derrière son comptoir et moi à ma caisse. Comme maint'nant, quoi ! Ah ! j'oubliais Mahous, si on peut dire qu'c'est du monde c'te bête ! Elle est entrée en coup d'vent, avec le froid qui s'est engoulé à cause que la porte elle l'a pas bien r'fermée. Elle est dure cette porte. J'dis toujours à Lulu qu'i' d'vrait... Mais Lulu i' fait rien que c'qu'i' veut,... c'est-à-dire pas grand-chose. Fainéant comme une couleuv' le Lulu. Même pas l'courage d'rallumer son mégot. A croire qu'le Mahous i' déteint sur lui. Et ca s'arrange pas avec l'âge, vous pouvez m'croire ! La porte, ma p'tit' dame ! que j'y ai fait. Mais c'est comme si elle avait pas entendu. C'est moi qu'ai dû sortir de derrière ma caisse pour aller la tirer. Elle, elle a été direct s'asseoir à cette table, là, au milieu. Elle a d'mandé un thé. Lulu, il l'a fait répéter, l' avait pas compris. Un thé, s'il vous plaît. Un thé ! On en sert pas souvent, c'est pas trop dans les habitudes des clients. Ici c'est plutôt café, demi, ou alors ça carbure au blanc sec ou au ballon d'côtes. Côtes,... côtes... : côtes du Rhône ! Bon ! J'continue. Des p'tites dames comm' ça, c'est pas souvent qu'on en voit dans not' commerce. Ou alors c'est juste pour ach'ter un paquet d'cigarettes ou un truc à gratter. Pas pour s'asseoir et consommer. Ou alors pas tout' seules. Avec un homme,... ou bien des copines. Elle avait l'air zarbi, comme pas dans son assiette. Zétaient tous là à la zieuter. Moi aussi d'ailleurs, du coin d'l'œil. Ben oui quoi ! la curiosité ! Elle a ouvert son manteau. Elle nous r'gardait elle aussi. Mais elle l'a pas enlevé, malgré le chaud qu'ça f'sait par rapport à dehors. Lulu i' lui a apporté son thé... Oui, comme si elle s'installait pas vraiment. Tout ça, ç'a duré pas très longtemps, pas plus d'cinq minutes. Chacun après est r'tourné à ses occupations. Le seul que ça semble qu'a pas été intéressé c'est Mahous. Mais j'le connais bien l'oiseau. J'suis sûre qu'il en a pas perdu une miette ! Donc elle est assise là sur la banquette avec son thé... Alors maintenant ouvrez bien vos oreilles !

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.