Mahous. 2.
Vous avez sans doute déjà eu l'occasion de remarquer que la vie d'un commerce comme le nôtre, - enfin, quand je dis « le nôtre » !... -, est pour l'essentiel structurée par le flux de sa clientèle. C'est un sujet que je connais bien, il est au centre des patients travaux d'observation que je mène depuis que je réside ici, recueilli par Lulu et Fernande à la suite d'un abandon précoce. Et cela ne date pas d'hier ! C'est pourquoi je suis en mesure de vous dire que les choses ne sont pas aussi simples qu'elle le paraissent et qu'elles méritent une analyse plus fouillée. Le résultat en est la répartition de l'ensemble des visiteurs de ce modeste établissement en trois catégories : les chalands, les permanents et les passagers. Madame Bénard appartient au premier groupe. Elle s'arrête ici chaque fin de matinée au sortir de la boulangerie, achète les cigarettes de son mari et « gratte » un peu, le temps pour elle et Fernande d'échanger les derniers ragots du quartier. Les tapeurs de carton et l'écrivassier ressortissent sans conteste au second sous-ensemble, et je ne pense pas que cela exige de ma part d'explication complémentaire. Quant aux passagers... Ah ! les passagers, les occasionnels, les fortuits ! Miaow ! Quels délicieux objets offerts à l'agitation de mes neurones ! Or justement :
Il y a de cela quelque temps, - Ne me demandez pas d'être plus précis, les repères temporels de mon univers sont autres que ceux dont vous usez communément. Les heures, les jours, les semaines,... - Il y a donc quelque temps de cela, la porte s'ouvrit sur une créature insolite de sexe féminin qui se révéla appartenir à la dernière espèce, celle des passagers. Cette irruption dans la trame réglée comme du papier à musique d'un après-midi dont tout donnait à penser qu'il serait semblable aux autres, provoqua le saisissement et l'émotion, ce dont je pris conscience sans même avoir à lever une paupière. Le temps, un bref instant, suspendit son cours... Je crus bon pour ma part ne pas devoir me départir de ce flegme que je manifeste en presque toutes circonstances, et me rencognai dans cette torpeur léthargique qui me tient lieu d'alibi. Mais je devais être le seul alors à pressentir que, que... Vous vous rendez compte ! Les gens du quartier, les
sbires du commissariat voisin, les caméras du JT !... Oh là là ! Quelle histoire !