Nicolas. 2.
Bien ! Par quoi commencer... Peut-être par vous parler des témoins, les particuliers que l'on a trouvés sur les lieux quand on est arrivés au Cévenol, ma collègue et moi.
Tout d'abord les patrons, Lulu et Fernande, un couple mal assorti soudé par les nécessités du commerce. Aussi têtus l'un que l'autre. Pas des bretons pour rien. Remarquez que ceux d'avant... Sympas malgré tout. La Fernande derrière sa caisse et y engrangeant les petits sous un à un, le Lulu au comptoir à essuyer les verres, sa clope éteinte au coin des lèvres, collée là comme une prothèse.
« Tiens ! V'là la flicaille ! » Eux, ce sont les cinq mousquetaires de la belote,... enfin quatre, le cinquième ne fait que regarder et commenter les coups. Des quidams inoffensifs, petites gens du quartier, retraités ou chômeurs. Ils intéressent un peu la partie, pas de grosses sommes, juste de quoi payer les tournées. Nous, on va pas regarder ça. On a d'autres chats à fouetter.
Enfin au fond de la salle, en retrait, élément de décor oublié dans son coin, « Monsieur Armand » comme l'appelle Fernande, un écrivain raté qui se donne des airs d'intellectuel inspiré devant son ordinateur. Il est là tous les après-midi. La solitude, c'est pas facile à apprivoiser ! Lui, il s'en sort en tapotant sur son clavier... Ici, c'est un peu comme sa famille. Sympa ? Oui, si l'on veut...
Ah ! À propos de chats, j'oubliais la bestiole dans son panier, Mahous, une vraie charogne qui d'un coup de patte m'a labouré la main un jour que, bon prince, je voulais la caresser. « Ah ça ! Mahous il a son caractère ! » s'était bornée à dire Fernande. À se demander qui des deux est le plus...
Assez minable tout cela à bien y regarder. Un petit commerce qui pourrit lentement, comme le reste du quartier. La salle a vraiment l'air tristounette. Faudrait quelques plantes vertes. Et limite propre. Un bon coup de peinture ça serait pas du luxe. Mais ça fait des frais,... à moins de le faire soi-même. Et Lulu, c'est pas un pinceau qu'il a dans le creux de la main !
Bon ! Fallait qu'on s'organise. Ils étaient tous là à vouloir parler en même temps, à se couper la parole. On allait pas s'en sortir.

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.