Nicolas. 3.
Nous avons procédé aux toutes premières constatations et recueilli les toutes premières dépositions. C'est la routine, on a l'habitude. Après on fait notre rapport et ce n'est plus à nous de jouer. Le patron décide des suites à donner. D'autres entrent alors en piste et recommencent de zéro, comme si nous on n'avait rien fait. Vous savez comment ils appellent ça ? « Politique coordonnée de redéploiement et de responsabilisation du personnel de prime intervention ». Si si, je vous assure, j'ai vu la circulaire au poste. Le personnel gna-gna-gna, c'est nous. Moi, des trucs comme ça, ça me fait sortir de ma réserve. Responsabilisation mon cul, oui ! Et pour ce qui est des primes !...
Mais ce que j'en dis c'est en général parce que, dans le cas présent, fallait pas être très malin pour se rendre compte qu'on avait affaire à quelque chose qui n'avait rien à voir avec notre boulot normal. Plus tôt on en serait débarrassés, mieux ça vaudrait.
Cela a pourtant bien commencé. C'est rare en effet que les témoignages soient aussi concordants. Le plus souvent faut qu'on se dépatouille au milieu des contradictions. Pour savoir par exemple si en fin de compte le mec qu'a tiré le sac de la petite vieille est un grand noir en rollers ou un petit brun de type méditerranéen, et quand je dis méditerranéen ! Et finalement, c'est un blondinet d'une dizaine d'années qui se fait serrer avec le cabas de la mémé...
Là, tout collait. Le bistrot en début d'après-midi. Chacun a sa place et qui fait comme d'hab, Lulu et Fernande au zinc et à la caisse, les accros du carton autour de leur tapis, le pseudo-écrivain au fond de la salle. Sans oublier le monstre dans son panier. Bien ! Arrivée d'une petite nana sur les 15 h 30, peut-être un peu moins. Elle va s'asseoir, cette table au milieu, se fait servir un thé, déboutonne son manteau. Une jeune femme d'allure bizarre. Le regard en particulier. Ils sont tous d'accord sur le sujet. Comme si elle était là sans y être vraiment. Vous voyez ? Vous avez de la chance...
On a rien pu savoir de plus sur son apparence physique. Grande ou petite, fausse blonde ou vraie brune, mince ou grassouillette ? Rien de rien ! Mais alors là où c'est fort de café, c'est le coup de la disparition ! Pfut ! Comme ça, évaporée !...

à propos de

Quintette
Michel Thébault
2007

 

[Quintette : œuvre de musique d'ensemble, écrite pour cinq instruments ou cinq voix concertantes. (Le Petit Robert).]

Cinq voix, quatre parties (ou mouvements), donc vingt courts chapitres.
L'écriture s'essaie à être concertante, empruntant à la composition musicale certaines de ses techniques : exposition des thèmes, passages fugués, cadences des solistes.

La faible hypertextualité de l'œuvre relève d'un choix délibéré de l'auteur. Elle structure l'ensemble des lectures possibles, accordant au lecteur, pour la construction de son propre itinéraire, une liberté certaine mais néanmoins encadrée.
Chaque page contient deux liens. L'un, à la fin du texte, « suite », conduit à poursuivre la lecture sans changer de narrateur (même voix, mouvement suivant). L'autre, dans le corps du texte, permet le passage à un narrateur différent sans changer de partie (autre voix, même mouvement).

 

Le choix du narrateur initial parmi les cinq est aléatoire.